Spécial listes de noël 2023 (1) : 10 films muets à (re)découvrir pour pétiller durant les fêtes

Le moment des fêtes de fin d’année coïncide souvent avec la publication de listes ou de guides répertoriant un choix de champagnes à boire pour égayer les repas et réunions de famille. Nous avons, nous aussi, décidé de sacrifier à cette tradition en proposant nos listes dans lesquelles on trouvera quelques suggestions de bonnes bouteilles à déboucher, mais surtout beaucoup de champagnes à voir et de champagnes à lire. Nous proposons notre choix de romans, de nouvelles, de poésies, de films, de dessins animés ou de bandes dessinées, avec à chaque fois de jolies bulles qui rendront les soirées pétillantes et les discussions effervescentes.
Pour commencer, voici une liste de 10 films muets, qui ont marqué les premières décennies du cinéma, et dans lesquels le champagne joue à chaque fois un rôle intéressant du point de vue visuel ou narratif.
Pour établir cette première liste, j’ai choisi des films qui m’ont touché, certains que je n’avais pas vu depuis longtemps ou que j’ai découvert récemment, et d’autres qui accompagnent depuis le début mes recherches sur le champagne au cinéma. Un autre critère était le fait que ces films étant libres de droit, il fallait qu’ils soient tous accessibles en ligne dans de bonnes définitions, du moins pour les moyens et longs métrages.
Bonne dégustation !

Barbe-Bleue (1901)

Réalisé par Georges Méliès, ce court-métrage est l’une des toutes premières fictions cinématographiques dans laquelle on voit apparaitre du champagne, et pas n’importe lequel puisque les spectateurs pouvaient tout à fait lire la marque sur l’immense bouteille portée par deux marmitons : Mercier.

Beaucoup virent dans cette séquence le premier placement de produit de l’histoire du 7e art, même si rien ne permet de le confirmer. D’autres hypothèses peuvent tout aussi bien expliquer la présence de cette bouteille. Pour ce qui est de la taille, il faut se souvenir que tout inventeur qu’il fut des effets spéciaux, Méliès ne connaissait pas la technique du gros plan qui fut inaugurée, semble-t-il au cinéma, en 1901 par James Williamson dans The Big Swallow et développée par l’École de Brighton. Aussi, lorsqu’il voulait mettre en avant un objet, Méliès en filmait une version agrandie. C’est le cas de cette bouteille, en fait un accessoire factice qui a été agrandi. Et pour la marque ? Mercier était alors une marque très populaire. Son fondateur, Eugène Mercier, avait souhaité démocratiser le champagne et n’avait pas hésité à innover en matière de publicité, par exemple en 1900 en projetant lors de l’Exposition universelle de Paris un film publicitaire, ou du moins ce que l’on appellerait plutôt de nos jours un publi-reportage, commandé aux frères Lumière. Bref, en pensant champagne, et en voulant en montrer, peut-être Méliès pensait-il tout simplement à du Mercier. À moins qu’il n’ait eu un petit faible pour ce champagne…

Quoiqu’il en soit, c’est un film à voir et à revoir, un des trois contes de Perrault mis en scène par ce grand magicien du 7e art !

Voir le film ici

Rêve à la lune ou L’Amant de la lune (1905)

Il s’agit là d’un petit film « à la manière de Méliès » comme on disait alors, c’est-à-dire avec des trucages. Il est réalisé par Ferdinand Zecca et Gaston Velle, deux des grands cinéastes de l’époque, qui travaillaient pour la firme Pathé.

Le pitch officiel du film commence par ces lignes : « Un brave pochard rentre en titubant à son logis et sous l’empire des fumées de l’alcool, est en proie aux plus bizarres hallucinations. Il se voit d’abord entouré de gigantesques bouteilles aux formes humaines avec lesquelles il exécute un quadrille échevelé, puis il se couche. Mais pendant son sommeil, son cerveau surchauffé l’entraine dans un voyage des plus abracadabrants et des plus imaginaires. » Le pochard en question est joué par Ferdinand Zecca lui-même et les bouteilles avec lesquels il danse sont de grandes bouteilles de champagne ! Le reste de ce petit conte cinématographique des temps modernes n’est pas sans rappeler, par son imagination et sa poésie, certaines planches de la bande dessinée Little Nemo de Windsor McCay. Danse, bulles et poésie… un vrai menu de fête.

Voir le film ici

Le songe d’un garçon de café (1910)

Il s’agit d’un film d’animation signé Émile Cohl, l’inventeur du dessin animé. En effet, dès 1908, il réalise Fantasmagorie qui narre les mutations et transformations improbables d’un petit personnage au graphisme très simple. C’est d’ailleurs dans ce court-métrage d’animation qu’était mis en scène, pour la toute première fois dans un film, un gag qui allait s’imposer au cinéma : le gag du saute-bouchon.

Le Songe d’un garçon de café a pour particularité d’être un film aux graphismes plus travaillés. Si le principe des transformations – avec le passage d’une forme à une autre –, qui est la marque des œuvres de Cohl, est maintenu, le scénario et les dessins sont plus élaborés. Tout commence hors animation : dans un bistrot, un garçon de café s’assoupit. La suite est un rêve merveilleux marqué par les vapeurs d’alcools divers, et par des formes qui se succèdent. Ainsi une bouteille de champagne se transforme-t-elle en une de ces femmes dont les formes et la position évoquent certaines publicités pour du champagne signées Leonetto Cappiello.

Voir le film ici

Les Vampires (1915)

De nos jours, il semble qu’on n’ait d’yeux que pour les séries. Faisons alors un petit saut dans le passé avec un ancêtre de nos séries actuelles : Les Vampires, une œuvre cinématographique en 10 épisodes, d’une durée de 7h20, réalisée par Louis Feuillade.

Celui-ci n’en est pas à son coup d’essai. C’est un cinéaste déjà reconnu, qui a commencé sa carrière comme assistant d’Alice Guy et qui, dès 1913, signait une première série avec l’adaptation en 5 épisodes de Fantomas, le roman de Marcel Allain et Pierre Souvestre. S’il y avait déjà du champagne dans l’un des épisodes (Juve contre Fantomas), il y en a davantage dans Les Vampires. On en voit au moins dans 3 épisodes: dans l’épisode 7, Satanas; dans l’épisode 10, Les Noces sanglantes ; mais surtout dans l’épisode 9, L’Homme des poisons, où, et c’est l’une des premières fois au cinéma, du champagne, celui qu’on doit servir pour un repas de fiançailles, a été empoisonné !

Une série donc où les bulles peuvent être aussi attractives et maléfiques que l’est la mythique Irma Vep (interprétée par Musidora), femme fatale gainée de noire qui a tant marqué les imaginations.

Voir le film ici (épisode 9, L’Homme des poisons)
Les 10 épisodes sur Internet Archive

Charlot s’évade (1917)

The Adventurer, tel est le titre original de cette comédie tournée par le maitre du burlesque, Charles Chaplin. L’histoire est simple. On y voit Charlot s’évader de prison puis sauver de la noyade une jeune femme. Il est invité par les parents de celle-ci à une réception donnée en son honneur. Alors qu’il s’est fait passer pour un millionnaire, il est reconnu et dénoncé à la police. S’engage une véritable course poursuite littéralement hilarante, dans laquelle le champagne joue un vrai rôle. En effet, bien que tournant un film muet, Chaplin s’amuse du bruit que fait l’ouverture d’une bouteille pour faire croire à un coup de revolver. Il y a dans cette scène un jeu malicieux avec les souvenirs sonores et universels des spectateurs.

Charlot fut sans aucun doute le plus grand héros du cinéma muet. On ne l’entendit parler que dans une scène. La dernière où il devait apparaitre, en 1940 dans The Great Dictator, léguant un discours d’une profonde humanité. Du champagne, on en trouve assez peu dans les « Charlots » (davantage dans les films que tournera Chaplin sans son double burlesque), certainement parce qu’à l’image des pauvres dont il est le visage magnifique, ce facétieux clochard, ce sublime immigrant, cet hilarant pochard ne peut se permettre d’en boire souvent.

Aussi, entre deux éclats de rire, faut-il prendre le temps de gouter ce Charlot s’évade comme un grand cru millésimé.

Voir le film ici

Larmes de clown (1924)

Voilà un film oublié, qui pourtant est un véritable chef-d’œuvre. D’ailleurs, He Who Gets Slapped (titre original qu’on pourrait traduire par : celui qui reçoit des gifles) a été inscrit en 2017 au National Film Registry de la Bibliothèque du Congrès des USA, qui chaque année sélectionne des films pour leur « importance culturelle, historique ou esthétique ». C’est dire ! Son réalisateur, Victor Sjöström, mériterait lui aussi largement d’être reconnu à sa juste valeur. Il fut l’un réalisateurs suédois les plus importants du muet, avant d’émigrer aux USA à la demande de Louis B. Mayer pour y réaliser quelques grands films. Le passage au parlant lui fut fatal, du moins comme cinéaste puisqu’il continua à tourner comme acteur, apparaissant, pour la dernière fois d’ailleurs, devant la caméra dans Les Fraise sauvages (1957) d’Ingmar Bergman où il interprétait le premier rôle masculin. Ultime consécration !

Enfin, il y a Lon Chaney, celui qu’on surnommait « l’homme aux mille visages » tant il était capable de tout jouer, de se changer et de se grimer en n’importe quel personnage, et dont la trousse de maquillage est entrée dans l’histoire du 7e art. Dans ce film, il interprète un ancien grand scientifique devenu clown, HE, qui chaque soir fait rire en recevant des gifles, un clown extraordinairement touchant mais qui n’hésitera pas à tuer par amour et vengeance en lâchant un lion sur son ennemi de toujours. C’est dans la scène finale que le champagne est bu, juste avant le drame. Il y est à la fois la marque d’Éros et de Thanatos.

Entre amour et vengeance, ces bulles-là paraissent aujourd’hui tellement tarantinesque…

Voir le film ici

Le Dernier des hommes (1924)

Der Letzte Mann, l’un des chefs-d’œuvre de Friedrich Wilhelm Murnau, un conte satirique social qui raconte comment la déchéance d’un vieux portier d’hôtel, licencié du jour au lendemain, qui perd sa respectabilité et sa raison d’être, se transforme, par un coup du sort, en sa réussite, et comment celle-ci est à l’image de cet homme de bien auquel tout le monde a tourné le dos, sauf un veilleur de nuit. On ne trouve dans ce film aux images virevoltantes, ni acrimonie, ni vengeance, de l’humiliation, sans doute, et de la tristesse, bien sûr, de l’amertume aussi, mais toutes compensées par de la joie, de la bonté et de l’amitié.

C’est un champagne G.H. Mumm Carte Blanche qui est servi à la fin du film à Emil Jannings, le plus grand acteur allemand de l’époque, qui offre là une interprétation magistrale, mêlant tout à la fois puissance et fragilité. Jannings, qui boira souvent du champagne dans ses films, sera le premier acteur à recevoir un Oscar quelques années plus tard, et c’est lui encore qui donnera la réplique à Marlène Dietrich en 1930 dans le tout premier film parlant allemand, L’Ange bleu (Der blaue Engel) réalisé par Josef von Sternberg.

Quant à Murnau, invité par les studios de la Fox, il partira aux USA où il mourra en 1931 à 42 ans dans un accident de voiture après y avoir réalisé quelques films inoubliables comme L’aurore (1927) ou Tabou (1931). Il fut l’un des maitres du cinéma muet, influençant au passage toute une génération de cinéastes, dont un certain Alfred Hitchcock qui assista au tournage de ce Dernier des hommes.

Voir le film ici

La Grève (1925)

Le 6 décembre 1917, alors même que le nouveau pouvoir mis en place par la révolution d’Octobre est encore très instable, le soviet de Petrograd déclara : « Ne touchez pas au vin, c’est un poison pour notre liberté. » Car le vin était par excellence la boisson de l’Occident, celle des régimes bourgeois et contre-révolutionnaires. C’est ainsi d’ailleurs que le cinéma soviétique mis en scène tout particulièrement le champagne en l’associant aux pouvoirs militaire et policier, ainsi qu’aux représentants du grand capital. Lorsqu’en 1924, il tourne son premier film, La Grève, qui sortira l’année suivante, Serguei Eisentein ne déroge pas à la règle. Dans une œuvre qui relate les manières, les plus viles et violentes, qu’utilisaient les forces de police, à la solde des grands patrons, pour réprimer une grève en 1912, le champagne y est le signe d’une opulence aussi indécente qu’ostentatoire. Il y figure un outil symbolique de torture mentale et idéologique. Il faut absolument voir cette séquence incroyable lors de laquelle le chef de la police force un ouvrier à devenir un mouchard, à trahir la cause même du prolétariat devant une table outrageusement garnie de mets, où le champagne déborde des coupes, et sur laquelle danse un couple de nains qui, une fois la pièce vide, se jettera sur la boisson et les victuailles pour bâfrer !

Avec ce film, qui n’est pas son plus connu, Eisenstein signe un coup de maitre. Quant au champagne, s’il s’agit d’une de ses seules apparitions dans un de ses films, on peut souligner néanmoins qu’il sera utilisé de manière assez similaire dans d’autres œuvres soviétiques comme dans Mort d’une sensation réalisé en 1935 par Alexandre Andrievski. Mais dès 1936, la doctrine changeait et Staline, lui-même, signait un décret visant à réorganiser la filière viticole soviétique pour fournir aux travailleurs stakhanovistes leur propre champagne, un vin mousseux qui fut baptisé: « Sovetskoe Shampanskoe ». Preuve, s’il en fallait une, qu’il faut toujours préférer voir un bon champagne au cinéma, surtout quand il est filmé par Eisenstein, que boire un mauvais mousseux, bien trop sucré…

Voir le film ici

Les Ailes (1927)

Parler de Wings réalisé par William Wellman, c’est d’abord évoquer le premier film à se voir attribuer l’Oscar du meilleur film en 1929, et le seul à ce jour intégralement muet ! Cette œuvre est une petite merveille, qui laisse au champagne une place de choix dans une scène mémorable devenue culte.

Plutôt que de résumer les qualités et valeurs de ce film, je préfère renvoyer à l’article que je lui ai consacré : White Seal for Wings : petite histoire du premier champagne « oscarisé »

Voir le film ici

Le Journal d’une fille perdue (1929)

Quand on évoque le réalisateur Georg Wilhelm Pabst et l’actrice américiane Louise Brooks, on pense d’abord à Loulou (Die Büchse der Pandora), sorti au début de l’année 1929 et qui est devenu un véritable film culte. C’est aussi l’un des rôles les plus importants, et les plus iconiques de Louise Brooks. Pour autant, le second film qu’ils tournèrent ensemble Das Tagebuch einer Verlorenen (Le Journal d’une fille perdue) est une petite merveille. Il faut précisément voir la scène où Louise Brooks, qui interprète une jeune fille-mère qui a été violée et envoyée dans une maison de correction dont elle s’échappe, entre dans une maison close et, rite d’initiation, boit pour la toute première fois du champagne, pour comprendre le talent de l’actrice et la force du réalisateur. Pabst avait l’habitude de dire « Le public doit voir l’action dans les yeux des interprètes. » Eh bien, dans cette séquence, tout se déroule dans le regard de Louise Brooks, nous assistons à une dégustation, incroyablement sexualisée, du roi des vins !

Pabst continua tourner de grands films jusqu’en 1939, avant de revenir en Allemagne où il s’accommoda du régime nazi et poursuivit sa carrière mais sans jamais vraiment retrouver ce qui avait fait la qualité de ses films. Après-guerre, il tourna encore quelques œuvres, plus ou moins intéressantes, avant de tomber dans l’oubli. Louise Brooks ne parvint jamais à s’imposer dans le cinéma parlant. À son retour d’Allemagne, elle refusa quelques propositions qui auraient pu la maintenir au sommet. Sa carrière déclina et on l’oublia jusqu’à ce qu’un certain Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, la remette au gout du jour en lui organisant un hommage en 1955 pour les 60 ans du cinéma. « Louise Brooks, dit d’elle le critique de cinéma Ado Kyrou, est la seule femme qui possède le talent de transformer en chef-d’œuvre n’importe quel film… Elle est l’apparition parfaite, la femme rêvée, l’être sans lequel le cinéma ne serait qu’une pauvre chose. » Champagne donc, en l’honneur de celle qui aimait tant ce vin!

Voir le film ici

Laisser un commentaire